Acte 1:
Mère Theresa, sors de ce corps.
Quand j’ai annoncé à mon frère que pendant un mois j’allais faire une retraite de méditation & volontariat dans une lèproserie en Inde, il m’a répondu, enthousiaste:
« ah oui c’est une bonne idée, ça sonne un peu comme crêperie. »
Et ça m’avait fait rire.
Mais en arrivant ici, pour être honnête, j’ai vite réalisé que ça n’allait pas être de la tarte. Ni de la crêpe.
Je me croyais suffisamment courageuse et remplie de compassion pour dépasser mes peurs et…mon dégoût.
Mais ça c’était avant de me retrouver nez à nez avec la lèpre. Quoi que parfois y avait même pas de nez.
Une communauté de 2000 personnes, réunies ici parce que rejetées par le reste de la société indienne.
Déformités, plaies, amputations, saleté, pauvreté…À la vue des afflictions dont souffrent les gens ici, il faut avoir le coeur et l’estomac bien accroché. Ce qui n’est pas mon cas. « Urgences » à côté c’est un film pour enfants…et ça avait déjà le don de me faire tourner de l’œil. Alors pu…*#* qu’est ce qui m’a pris de venir ici ?!!!
Depuis mon arrivée donc, tout mon être dit non. Non. Non. Non. Mère Theresa sors de ce corps. Et retourne donc te dorer la pilule à Goa. Ça tu sais faire. Et t’es même plus douée que la moyenne. Ya des gens qui ont comme vocation d’aider les autres. Laisse-les gérer et barre-toi illico-presto.
Bref, les premiers jours, j’ai refusé l’obstacle.
Et puis…
Acte 2:
La lèpre de nos esprits.
Voilà de quoi il s’agit ici.
Baba Amte, le fondateur de cette époustouflante communauté il y a 60 ans, ami de Gandhi, du Dalai-Lama et autres sages, savait que la maladie la plus pernicieuse se trouve dans nos cœurs et dans nos têtes. Peu importe que nous ayons encore nos 2 jambes, nos 2 yeux et nos 2 bras. Nous n’en sommes pas moins handicapés de la vie…et au fond de nous, nous le savons.
Je ne suis pas dupe, la principale raison pour laquelle je suis venue faire du volontariat ici est assez égoïste. Marre de ruminer mes névroses d’enfant gâtée. C’est vrai, moi aussi j’ai la lèpre. Mon esprit est rongé par la peur, la colère, la culpabilité, l’indifférence…Et cette lèpre là ne se guérit pas en 6 mois avec un bon médecin et quelques pilules. Mes psy et profs de méditation en sont témoins, je suis une patiente récidiviste 🙂
Alors oui, les premiers jours, j étais ulcérée par ce que je voyais autour de moi. On rencontre ici un niveau de souffrance dont le fait d être née nantie en France m avait jusque là épargné. Et pourtant à y regarder de plus près, il y a dans cette communauté de lépreux plus de joie et d’harmonie que dans mon esprit encore si souvent torturé.
Soyons sincère: je ne sais plus qui aide qui. Ces blessés de la vie, exclus, défigurés, amputés, voire maudits, me donnent ma leçon tous les matins. Je me sens presque prétentieuse d’avoir pensé que j’allais les aider. Ce fameux syndrome du sauveur…remisé au placard 🙂
Ma « mission » ici, s’il y en a une, c’est simplement de partager un bout de chemin, assez unique, avec d’autres êtres humains. En frères de lèpre que nous sommes.
Je reçois beaucoup. D’affection. De joie. D’enseignements.
J’offre ce que je peux. A l’hôpital. A l’école ou à l orchestre.Mon temps. Mon énergie….Mes mains pour un massage sur des genoux déformés. Mes bras pour une course en fauteuil roulant. Un chai. Un sourire. Un morceau de chopin au piano. Une blague pourrie. Ma patience quand je n’ en ai plus. Un samossa pour le chien qui pèle. Une chanson de Francis Cabrel (oui oui) entre 2 musiques de Bollywood. Un câlin. Plein. Des gommettes. Quelques mots d’Hindi avec mon plus bel accent français.
Parfois juste un regard, qui dit je te vois.
Souvent, ça suffit.
Et guess what, c est gratuit et ça guérit bien la lèpre de l’esprit 😉
Acte 3:
Le coiffeur et mon ego.
Tu connais ce moment chez le coiffeur, où tu te regardes dans le miroir, tu vois tes longues boucles qui se font tailler sans ménagement, tu es là pour ça by the way, mais c est plus fort que toi, tu commences à stresser. « What the F*# !? ? Je lui avais dit court mais pas SI court !!!Il est taré,ce coiffeur, il veut me défigurer ou quoi ? Ça va mettre des semaines avant de repousser !! Autant annuler direct ma date avec Jérémy, hors de question qu’il me voit comme ça…Oh mes cheveux partout sur le sol, c’est un carnage. Ces coiffeurs qui n’écoutent pas ce qu’on leur demande, toujours pareil… »
Ton estomac est crispé, tu boues intérieurement. Bien sûr tu ne dis rien au coiffeur, c est trop tard. Autant qu’il finisse aussi vite que possible sa sale besogne. Mais tu lui en veux, de te faire te sentir si vulnérable, à sa merci. Droit de vie ou de mort sur ton image. Rien que ça. Ça frôle le crime contre la beauté.
Et puis 20 interminables minutes plus tard, il vient de terminer, tu te regardes à nouveau dans le miroir, devant derrière à droite à gauche. Tu lèves les yeux vers lui, un brin insatisfaite, et tu t’entends lui dire : ‘vous pourriez couper un tout petit peu plus court ? Là ça me change pas assez de tête.’
Et bien me voilà. Crispée. Dans un salon de coiffure ultra-tendance de Bombay. Une semaine à peine après être sortie de ma retraite dans une communauté de lépreux. J’avais envie de m’offrir un petit moment de luxe. Et soudain, en me regardant dans ce miroir pour vérifier que je suis pas trop moche, la joyeuse absurdité de la situation me saute aux yeux. Le contraste, détonnant, avec ce que je viens de vivre pendant 1 mois. La rapidité avec laquelle l’ego reprend le dessus, en accord avec notre société qui mise tant sur l’apparence, l’image, le Moi-Je-Mon-Mien.
Et je repense à cette retraite que je viens de vivre et qui a bouleversé l’idée que je me faisais de ce MOI que je tiens tant à protéger des méfaits du coiffeur.
Là bas pendant 1 mois, je n’ ai été PERSONNE. Et tu sais quoi, ça m’a plu. Parce que ces gens ne parlaient pas un mot d anglais et moi pas un mot d hindi, personne à qui raconter MA petite histoire. Là bas les gens ne connaissaient ni mon nom, ni mon âge, ni mon passé, ni les raisons pour lesquelles j’étais là. On s’en foutait, en fait.
Certains étaient aveugles et ne voyaient même pas mon visage. Ma coupe de cheveux ratée ne les aurait pas émus. D’autres étaient sourds et n’ont jamais entendu le son de ma voix. Ce qui ne nous a certainement pas empêché de communiquer. D’ être en lien, d’humain à humain, sans blabla, sans l image ni le son. Se moquer d être beau ou moche, bien-portant ou lépreux. Du moment qu’on peut mutuellement se réchauffer à la simple présence d’un autre être humain.
Et puis s’oublier un peu. Oui pour un instant, oublie-toi, et le ciel t aidera. Voilà une de mes leçons préférées pendant cette retraite. Je me rends compte qu’avec la méditation, on passe un temps fou à essayer de mieux se connaître, traiter nos névroses sur le coussin est un job très prenant. Tant et si bien qu’on pourrait par mégarde en oublier le monde extérieur et devenir très auto-centré. Ce qui n’est pas le but. Toutes ces heures de méditation n’ont un sens que si elles nous permettent de mieux être au monde, et non à distance.
C’ est du moins mon avis.
Je réalise maintenant pourquoi certains deviennent addict aux missions humanitaires et sociales en tout genre. Il y a dans le don et l’aide à l autre, un oubli de soi absolument jouissif. Tout à coup, la coupe de cheveux ratée, et autres micro drames de nos quotidiens, perdent de leur intensité. Quelque chose de plus grand est à l’œuvre, quelque chose qui enfin fait sens, l’impression d’être au service de la vie. Et ce sentiment là, aucun salon de coiffure ultra-tendance qui promet amour gloire et beauté ne pourra jamais l’offrir.
PS : Pour ceux qui compatissent et s’inquiètent de ma nouvelle coupe de cheveux au sortir d un coiffeur indien ( non mais qu’elle idée??)… c’est pas si pire 😉
Merci de partager cette incroyable expérience et d’oser dire à quel point l’ego peut vite reprendre le dessus.
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